Lab-École: la dérive spectaculaire

Ce n’est pas la bâtisse et la bouffe qui comptent, c’est la culture et ceux qui la portent.

Louis Cornellier, chroniqueur au Devoir et professeur de français au Cégep de Joliette

Ne tournons pas autour du pot : le projet de Lab-école annoncé en mars 2017 par le gouvernement du Québec est une bêtise de plus à ajouter au triste bilan du règne libéral. Ainsi, pour contribuer à la réussite scolaire des jeunes Québécois, pour rendre les « écoles plus modernes, plus attrayantes et stimulantes », le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, n’a rien trouvé de mieux comme idée que de faire appel à un architecte, à un cuisiner et à un cycliste, titillés par l’engagement social. Est-ce vraiment cela qui manquait à l’école québécoise?

Les jeunes décrochent-ils et sont-ils mal formés parce que nos écoles ne sont pas belles, parce que la bouffe de la cafétéria est ordinaire et parce que le sport n’occupe pas tout leur temps libre? Pour le croire, et pour en convaincre un ministre de l’Éducation novice, il faut être un entrepreneur en quête de projets autopromotionnels bien plus qu’un penseur de l’éducation.

Qu’on ne s’y trompe pas : j’aime les belles constructions, les plats agréables et plus encore le sport. Et alors? Cela manque-t-il vraiment aux écoles? Sont-ce là trois chantiers prioritaires pour la réussite scolaire?

J’ai fréquenté une école secondaire publique construite dans les années 1970. Elle avait un peu l’allure d’une bouche de métro ou d’un édifice à l’esthétique soviétique, comme on le dit parfois avec dédain. Pourtant, je la trouvais belle et j’aimais y être. L’idée qu’elle soit déprimante parce qu’elle était en béton et n’avait pas de puits de lumière ou de jardin intérieur n’a jamais traversé mon esprit ni celui de mes camarades. Il faut dire qu’en ces années, cette école était presque neuve.

J’en conclus donc que s’il est nécessaire que les écoles soient salubres et bien entretenues, il ne l’est certes pas qu’elles aient un design finlandais. Question de goût, peut-être, mais le style soviétique n’a jamais nui à mon plaisir de fréquenter l’école. Je comprends que, en une époque, la nôtre, où la passion des « belles » maisons et des rénos donne du sens à la vie de bien de mes contemporains, on s’excite pour les « beaux projets » de construction que sont nos écoles, mais je dis que cela a plus à voir avec des lubies de petits-bourgeois entrepreneurs qu’avec la réussite scolaire.

La bonne bouffe? D’accord, mais quel est le rapport? Celle de ma cafétéria scolaire était fort convenable, mais je lui préférais souvent une bouchée prise sur le pouce avec un lait au chocolat. Je n’étais pas gastronome, et je ne le suis toujours pas, mais j’étais pourtant un premier de classe, de même qu’un élève heureux et très sportif. Que vient donc faire Ricardo dans cette galère subventionnée, surtout qu’on n’a pas besoin de lui pour savoir comment manger sainement? Nourrira-t-il les élèves qui ont le ventre vide? Alors, quoi?

Le sport? C’était, et ça reste, une de mes passions. Que l’école lui fasse une place importante me semble une bonne idée, voire une nécessité. Nul besoin, pour cela, cependant, des services de Pierre Lavoie, un gourou monomaniaque qui semble incapable de faire du sport sans transformer son activité en spectacle payant, une attitude qui ne représente certes pas un idéal sportif.

Les enseignants d’éducation physique du Québec aiment le sport, connaissent son importance pour la santé générale et sont formés pour encadrer de la meilleure façon l’activité physique des jeunes, à condition qu’on leur donne les moyens de le faire. Que vient faire Lavoie, ici, sinon se mettre en vedette encore une fois? Les écoles du Québec n’ont pas besoin de ses clichés de motivateur pour inciter les jeunes à bouger. Elles ont besoin de personnel qualifié, à qui on donne le temps et les moyens de mener à bien cette mission.

Cette dernière, d’ailleurs, ne doit pas devenir une obsession, voire un diktat. Lavoie, qui ne doit pas avoir souvent le temps de lire, trop occupé qu’il est à pédaler et à chercher du financement pour son organisme, semble vouloir faire main basse sur tout le temps libre des élèves, récréations incluses. Or, il n’y a pas que le sport dans la vie. Comme le souligne une commissaire scolaire en réaction au discours du tout-au-sport-pour-les-saines-habitudes-de-vie de Lavoie, il y a, eh oui, des élèves qui souhaitent lire et jaser pendant les récréations, et cela aussi contribue au plaisir qu’on peut prendre à fréquenter l’école.

De quoi les élèves québécois ont-ils besoin? D’activité physique, bien sûr, mais aussi et surtout de culture – langue, littérature, théâtre, musique, arts — et de science. Ils n’ont pas besoin, sauf comme amis de l’éducation, d’un architecte, d’un cuisinier et d’un athlète motivé. Il leur faut des enseignants et des animateurs cultivés, bien formés, qui disposent du temps et des moyens nécessaires, en classe et hors de la classe (pour les essentielles activités parascolaires), afin d’animer une école de la culture, intellectuelle et physique.

Qu’on laisse les vedettes à leurs maisons, à leurs fourneaux et à leurs entreprises sportives et qu’on fasse entrer dans les écoles du personnel qualifié et syndiqué, nombreux et disponible pour faire vivre l’école le jour, le soir et les fins de semaine. Ce n’est pas spectaculaire, mais ça marche.

2 Comments

  1. J’aime le mot « dérive » dans le titre. On dirait que les livres sont sur une embarcation qui flotte à la dérive tellement l’image est imprécise. Et c’est cité sur une revue nommée l’Albatros, second poème de Baudelaire dans « Les Fleurs du mal », vers 1860, où l’auteur célèbre la conscience d’être différent. Une coïncidence très à-propos dans ce cas-ci.

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