C’était ce samedi. Je regardais mon fil Facebook lorsque j’aperçus la fameuse vidéo des quatre étudiants noirs poussant un char allégorique à la parade de la fête nationale à Montréal. Tombant dans le panneau de la publication Facebook, souvent réductrice, ma première réaction fut de trouver les organisateurs malhabiles. Après réflexion, je trouve la vidéo vide de sens et le débat absurde.
Impossible de manquer le parallèle avec la polémique de la publicité promouvant la campagne de financement de l’Université Laval en mars 2016 (1). On pouvait y voir un dessin faisant vaguement penser à un monument nazi. La ressemblance avait été vite remarquée sur Internet et la pression avait forcé l’université à faire volte-face. Nous pouvons voir plusieurs événements du même genre émerger ces temps-ci.
Le cerveau humain est une machine à avaler de l’information, un ordinateur ultra- perfectionné en somme, qui, comme la bête énergivore sur la table de votre salon, peut planter. Une de ses principales tâches est de trouver des patrons, des groupements organisés, dans les entrées qu’il reçoit. Et il est très fort pour le faire. Pour donner un exemple, c’est ce qui permet au caricaturiste de sélectionner quelques caractéristiques discriminantes d’un politicien pour en faire un dessin. Et c’est ce qui nous permet d’y reconnaître le politicien si facilement. Mais, des fois, notre cerveau va trop loin. Par exemple, lorsque nous voyons un visage sur le devant d’une voiture, le pare-chocs et les phares de l’automobile sont agencés sur la carrosserie de telle manière que notre système visuel interprète le bruit (2) causé comme un visage. Le phénomène arrive d’autant plus lors d’un plan rapproché. Le bruit est amplifié et l’information pertinente, «je suis une voiture», est cachée.
Il s’avère que nous vivons dans une société où la publicité et l’image sont mises au premier plan, dans une société où l’instantanéité nous bombarde d’informations constamment. Il se crée un décalage entre la vitesse de traitement de notre cerveau et la réception de ces amas de données. Comment voulez-vous qu’un cerveau distingue l’information véritable lorsqu’elle est cachée dans tout ce bruit ambiant? Comment voulez-vous qu’il le fasse lorsqu’une centaine de publications et de commentaires Facebook bruitent les faits véritables?
Alors samedi, à Montréal, une vidéo montrant un court moment de la longue parade de la fête nationale crée un émoi. Une vidéo sortie de son contexte et au champ de vue tronqué par la caméra d’un téléphone portable. Les réseaux sociaux s’enflamment. Quatre noirs poussent un char allégorique, les Québécois sont racistes.
Or, le racisme n’est pas une image en soi, le racisme est un concept relié à la science de l’éthique. Pour qu’il y ait racisme, il faut qu’il y ait intention de racisme. Si une image paraît raciste, mais est dénuée de sens raciste, ce n’est pas du racisme, c’est une coïncidence ou, si vous voulez, du bruit.
Nous le voyons bien quand le contexte vient se rajouter à l’image. Les organisateurs n’avaient aucune intention raciste. Au contraire, il n’avaient même pas songé à la couleur de peau des quatre jeunes.
À tous ceux et celles qui se sont insurgés, prenez le temps de réfléchir à la situation du point de vue de l’information réelle : les organisateurs ont permis à des jeunes d’une équipe sportive provenant d’un milieu défavorisé de Montréal de s’impliquer dans une activité communautaire de la société québécoise. Et ce, en montrant leur atout sportif et en utilisant des chars allégoriques écologiques.
N’est-ce pas une intention morale louable bien éloignée du racisme? Il est clair que le petite vidéo et la tempête médiatique viennent bruiter le véritable sens de l’image.
Comme souvent, le pire arrive ensuite, un traitement faux de l’information : les noirs seraient représentés sous une forme inférieure aux blancs lors d’une parade fêtant le Québec, les Québécois seraient donc des racistes. Or, le char ne représente ici aucun signe social supérieur, il n’est qu’une scène mouvante de spectacle pour l’artiste. Au contraire, la position des jeunes est en réalité gratifiante; les jeunes sont tous fiers d’être dans la parade pour montrer leurs prouesses athlétiques, nous explique l’entraîneur.
Il est déplorable, mais évident par le grand nombre de situtations semblables, que l’image l’emporte maintenant partout sur le sens. Le pire vient du fait que le racisme prenait vie grâce à un système similaire : «Ton image est différente, donc tu es pas moi et tu n’as pas les mêmes droits et capacités que moi.» Finalement, les vrais racistes sont peut-être ceux qui ont vu les noirs comme étant noirs avant de les voir comme sportifs.
L’inversion des rôles est désolant. Tel un test de Rorschach généralisé, on a l’impression que la société québécoise tente d’exorciser ses plus gros démons en les retrouvant dans tout ce qu’elle voit. Or, tout comme la tache d’huile que le psychologue montre au patient, le vrai mal n’existe que dans sa tête.
Émile Robitaille
1 http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/education/201603/13/01-4960184-une-pub-de- luniversite-laval-comparee-a-un-monument-nazi.php
2 Terme utilisé en science pour indiquer un amas de données indésirables.
Merci beaucoup pour cet envoi. AF.
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