Opération Walkyrie

Vers midi, le 20 juillet 1944 lorsque le colonel allemand Claus von Stauffenberg pénètre dans une salle de conférence de la Tanière du Loup, le quartier général d’Adolf Hitler situé en Pologne, il a la ferme intention de mettre un terme à la Deuxième Guerre mondiale en assassinant le Führer du 3e Reich.

Stauffenberg, transportant secrètement une bombe à l’intérieur de son porte-document, feint d’assister normalement à la réunion alors qu’il est sur le point de commettre son attentat. Pendant qu’un officier général désemparé montre à un Hitler furieux les déboires militaires allemands, le colonel Stauffenberg en profite pour filer en douce, laissant discrètement sa mallette dans la salle de conférence.

À 12h45, la bombe contenue dans le porte-document explose faisant ainsi voler en éclats la lourde table et projetant tous les hommes présents en arrière. Quatre d’entre eux allaient mourir suite aux blessures mortelles infligées par l’explosif. Cependant, l’imposante table protège miraculeusement Hitler du souffle de l’exposition et des débris; il remercie sa providence de l’avoir épargné.

Au moment même où la bombe explose, Stauffenberg se précipite vers la voiture de son adjudant Werner von Haeften; il lui ordonne alors de rouler à toute vitesse en dehors de l’enceinte pour se diriger vers l’avion qui allait les transporter à Berlin. Persuadé de la mort d’Hitler, le colonel était confiant envers l’Opération Walkyrie qu’il venait de déclencher.

Cette opération, menée par Stauffenberg et d’autres hauts gradés militaires allemands (la Résistance allemande), consistait à faire porter le blâme de l’assassinat d’Hitler sur les SS (police paramilitaire sous les ordres directs d’Hitler) évoquant un complot fomenté dans le but de s’emparer du gouvernement. Les résistants, membres de la Wehrmacht (les forces armées du Reich), emploieraient ensuite l’armée pour emprisonner les SS, arrêter tous les grands chefs nazis, dont Goebbels et Göring, et mettre en place un gouvernement civil qui entrerait en pourparlers avec les Alliés, dont l’avancée paraissait désormais inexorable.

Mais pourquoi cette rébellion? Comment expliquer une telle trahison de la part de si hauts gradés allemands alors qu’Hitler avait toujours soutenu l’Armée dans ses politiques?

Parmi les multiples raisons ayant poussé les résistants militaires à se retourner contre Hitler, je souligne ici trois généralisations au sujet de leurs motivations.

  • La concentration du pouvoir militaire entre les mains d’Hitler avait décimé la structure de commandement de l’armée et ainsi prolongé la guerre de façon inefficace et souvent désastreuse.
  • La façon dont le Führer commandait, à coup d’ingérence et d’ordres continuels de tenir des positions incontestablement intenables, n’était plus acceptable.
  • La brutale guerre d’extermination menée contre les populations locales par l’Allemagne dans les territoires occupés portait atteinte au noble sens de l’honneur des officiers allemands.

Toutes ces raisons avaient fermement convaincu Stauffenberg de la nécessité de tuer Hitler dès 1942. Ainsi, entre 1942 et 1944, ce dernier s’emploie activement à recruter des officiers de hauts rangs pour rejoindre son coup d’État qu’il peaufine avec l’aide de son camarade, le général d’infanterie Friedrich Olbricht. Le 20 juillet, tout est finalement prêt et l’opération peut enfin être amorcée.

Le seul bémol de l’opération Walkyrie, c’est que l’attentat contre Hitler a échoué; sans sa mort, le coup d’État était inévitablement voué à l’échec. Néanmoins, personne ne pouvait s’assurer de l’état de santé du Führer, puisque les communications radiophoniques entre Berlin et la Tanière du Loup avaient été préalablement coupées par les résistants. Dans ce cas, ces derniers devaient donc agir rapidement et mettre en œuvre leur coup d’État avant que les communications ne soient rétablies. Il s’agit ici d’un coup de poker d’une ampleur démesurée.

À 16h, le général Olbricht, responsable des manœuvres de l’opération à Berlin, lance deux séries d’annonces depuis le Bendlerblock (le grand complexe de bureau qui abritait le quartier général de l’Armée à Berlin). La première annonçait l’assassinat d’Adolf Hitler par les SS dans le but de s’emparer du pouvoir ainsi que le décret de l’état d’urgence conférant le commandement militaire suprême et les pleins pouvoirs exécutifs à un sympathisant des résistants. Le second communiqué donnait une série d’ordres aux forces armées ; d’arrêter tous les officiers nazis supérieurs ainsi que les commandants SS soupçonnés de trahison,  d’occuper tous les camps de concentration, et de s’emparer des bureaux de la Gestapo et des SD (les services secrets du Parti nazi). Cette deuxième proclamation portait le sceau de la signature imitée du général Friedrich Fromm, chef de l’armée allemande de réserve.

La collaboration de Fromm était indispensable au bon fonctionnement du coup d’État, puisque les résistants comptaient s’appuyer sur les soldats sous son commandement (il s’agissait en effet de la formation militaire disponible la plus près de Berlin) pour marcher sur la capitale allemande.

Mais puisque le général Fromm refusait de se joindre à la conspiration, Olbricht et Stauffenberg, qui venait tout juste d’arriver à Berlin, l’arrêtent et l’emprisonnent discrètement. Il était 17h et le coup d’État semblait sur le point de réussir.

Pendant ce temps, le Generalleutnant Paul von Hase, commandant de Berlin et valeureux associé d’Olbricht, convoquait le major Otto Ernst Remer, un nazi fanatique et obéissant, à son bureau. Hase donne à Remer la version des faits provenant du Benderblock et lui ordonne de boucler les quartiers du gouvernement de la ville. Remer doute de la véracité des propos, mais s’acquitte de la tache tout de même.

Comme prévu, les troupes se mobilisent; s’emparant d’abord des stations de radios, des carrefours et des ponts, l’entièreté du centre de Berlin est rapidement bouclée et aux mains des résistants vers 18h30.

Néanmoins, en l’absence de confirmation réelle de la mort d’Hitller et en considérant l’ampleur de la trahison et du risque qu’elle impliquait, les ordres émis par Olbritcht commençaient à être mis en doute, voire partiellement ou complètement refusés.

Le véritable point tournant se produit lorsque Remer, sur l’ordre de Paul von Hase, entre avec réticence dans les quartiers de Goebbels pour l’arrêter. Or, l’influent ministre de la propagande a tôt fait de dissiper les doutes du major en téléphonant à Hitler. Le Führer qui décroche demande alors à Remer si celui-ci reconnait bien sa voix en lui assurant qu’il n’avait pas été blessé lors de l’attentat et en lui confiant la sécurité de la capitale. Remer devait utiliser tous les moyens à sa disposition pour écraser toutes formes de résistances de la part des traitres. En ce sens, ce dernier ordonne immédiatement le retrait des cordons qui entouraient le quartier du gouvernement; c’est le début de la fin.

Pour aggraver les choses, Fromm, avec l’aide d’un geôlier sympathisant et surement inquiet de son sort si la conspiration échouait, réussit à s’échapper et entreprend des contre-mesures avec d’autres officiers loyaux au régime. Il utilise les troupes rattachées à la défense du Benderblock pour faire arrêter Stauffenberg, Olbricht, Haeften et plusieurs autres influents résistants.

Vers minuit et demi, un peloton d’exécution est formé dans la cour d’un bâtiment du centre de Berlin. Les hommes de la résistance accolés contre un mur sont éclairés par la lumière des phares de voitures. Fromm déclare alors solennellement la condamnation à mort des traitres en invoquant le personnage du Führer et l’autorité de la cour martiale. «Longue vie à la sainte Allemagne!», s’écrit alors Stauffenberg avant de se faire tuer par la seconde salve, mettant ainsi un terme à une journée effroyablement mouvementée qui aurait bien pu être la dernière du 3e Reich.

L’histoire de Stauffenberg et de l’Opération Walkyrie intéresse surtout pour ce qu’elle aurait pu engendrer plutôt que les résultats tangibles de l’insurrection. Que serait-il arrivé si Adolf Hitler n’avait pas miraculeusement survécu à l’attentat? Une simple table trop solide a-t-elle retardé d’une année entière la fin de la Deuxième Guerre mondiale? Sur quelles bases les pourparlers entre le nouveau gouvernement civil de Stauffenberg et les Alliés se seraient-ils établis? Plusieurs questions qui soulèvent certainement des interrogations diverses même de nos jours. En effet, il est déconcertant de s’apercevoir à quel point l’Histoire contemporaine a passé près d’être réécrite substantiellement en ce 20 juillet 1944.
La réalisation de ce très bref et très synthétique exposé de la portion allemande de l’Opération Walyrie (en effet, il y eut aussi des répercussions à Paris – nous les aborderons peut-être dans un article futur) a été rendue possible uniquement grâce au livre Refus d’Obéissance de Randall Hansen, un professeur de science politique à l’Université de Toronto et un spécialiste mondial du sujet, paru en français aux Presses de l’Université Laval. Combinant de manière remarquable une approche méthodologique et scientifique s’appuyant sur une quantité incroyable de sources de première main avec un style romanesque qui captive complètement le lecteur, cet ouvrage spécialisé – mais tout de même accessible au grand public averti – nous éclaire sur les différentes formes de résistance à Hitler pendant et après l’Opération Walkyrie.

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Adrien Larochelle

 

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L’adaptation hollywoodienne de l’Opération Walkyrie où Tom Cruise interprète le colonel Stauffenberg.

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Sources:

Image de couverture : Photo du Rassemblement du parti Nazi à Nuremberg, 1934.

HANSEN, Randall. Refus d’Obéissance. 1945. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2015, 432 pages. –Traduit de l’anglais par Anne-Hélène Kerbiriou

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